Comment passer de la gang de chums à l'entreprise : repenser le statut de membre en coopérative de travail 

De la gang de chums à l’entreprise : repenser le statut de membre en coopérative de travail 

Créer une coopérative de travail, c’est souvent une histoire de confiance, de complicité, d’amitié même. On lance un projet avec des collègues, des proches, parfois des ami·e.s de longue date. Mais tôt ou tard, une question cruciale surgit : comment passer d’une belle gang motivée à une entreprise organisée et pérenne ? 

Cette réflexion nous amène au cœur de la dynamique coopérative : le statut de membre. Ce n’est pas qu’un détail juridique : c’est le socle de l’identité collective et de la gouvernance d’une coopérative. Voici quelques clés pour penser cette transition essentielle. 

 

Quand les bonnes intentions ne suffisent plus 

Dans les coopératives de services — celles où l’on vend surtout du temps de travail — le défi est clair : les revenus arrivent rarement en même temps pour tout le monde. Les parcours, disponibilités et engagements sont variables. Cela crée des tensions : certain·e.s membres s’impliquent à fond, parfois bénévolement, pendant que d’autres cumulent un emploi à l’extérieur. Rapidement, des sentiments d’iniquité peuvent miner la dynamique collective. 

Et lorsque la coop croît rapidement ? D’autres dilemmes apparaissent : embauche de contractuel.le.s, admission de nouveaux membres, perte de lien avec les fondateur.ice.s… La gouvernance doit suivre le rythme. 

 

Coopérative de travail ou coopérative de producteurs ? 

Certaines coopératives choisissent un modèle transitoire, inspiré de la coopérative de producteurs. Dans ce modèle : 

  • Chaque membre gère ses propres contrats 
  • Une part des revenus est remise à la coop pour les services communs 
  • L’autonomie est forte, mais la dimension collective est plus faible 

C’est un modèle plus souple, utile en phase de démarrage. Mais il faut en connaître les limites. Il est généralement recommandé de le remettre en question chaque année lors de l’assemblée générale. 

 

Vers un fonctionnement coopératif assumé 

Quand une coopérative atteint une certaine maturité, elle adopte souvent des pratiques plus collectives : 

  • Tous les contrats passent par la coop 
  • Le travail est réparti selon des critères clairs (compétences, ancienneté, disponibilité) 
  • Tous les membres participent au développement de la coopérative
  • Les prix sont fixés collectivement 
  • Le statut de membre est bien défini 

Ce modèle demande plus d’organisation, mais il permet de bâtir une véritable entreprise coopérative, où les membres sont aussi copropriétaires, cogestionnaires… et coresponsables. 

 

Des questions fondamentales à se poser 

Plusieurs éléments influencent la santé démocratique et financière d’une coop en développement : 

Définir collectivement son marché et ses services 

Il faut trouver l’équilibre entre opportunités économiques, cohérence avec les compétences internes et vision de développement. Cela demande des discussions régulières, surtout quand on sort du cadre initial. 

Clarifier la frontière entre travail individuel et collectif 

Les coopératives fondées par des ex-travailleurs et travailleuses autonomes vivent souvent ce dilemme. Des règles claires évitent les frustrations. Et surtout, il faut donner un sens collectif au fait d’être membre. Cela nécessite un changement de paradigme. Il faut aussi passer d’une gestion au quotidien en fonction des contrats qui entrent à une planification financière sur l’année afin de pouvoir sécuriser les heures de travail des membres et par conséquent, offrir une rémunération régulière sans mettre en danger la pérennité de la coopérative. 

Organiser les ventes sans créer de déséquilibres 

Tous.tes ne sont pas à l’aise avec la vente. Plusieurs modèles peuvent être adoptés en fonction des compétences et aptitudes des membres de l’équipe. Certaines coopératives attribuent la fonction de “vente et développement des affaires” à une ou quelques personnes ayant naturellement cet élan. Dans d’autres cas, cette fonction est répartie sur l’ensemble du groupe. Toutefois, il faudra alors s’assurer de bien former, soutenir et se fixer des objectifs à atteindre pour éviter que cette fonction ne soit au final prise en charge par aucun membre de l’équipe. Un plan marketing est un atout essentiel pour bien canaliser les efforts. Le Réseau COOP est là pour vous accompagner pour votre développement des affaires ou votre plan marketing.

Déterminer un modèle de rémunération viable 

Fixer des tarifs réalistes est un défi. Beaucoup de coop constatent qu’un taux de facturation efficace exige de multiplier le salaire horaire par 2,5 pour couvrir les coûts réels. 

Reconnaître l’investissement des fondateur.trice.s 

Pour reconnaître le travail des fondateur.ice.s à la mise en place de la coopérative, plusieurs options s’offrent: il est possible de convertir le temps de travail en parts privilégiées. Cependant, cette stratégie n’est pas que symbolique. Même si un salaire n’est pas versé au travailleur.euse en contrepartie de ses parts, la coop devra payer des charges de l’employeur (DAS) et inscrire la dépense à l’État des résultats (ce qui peut causer un déficit).  

Une autre option serait de comptabiliser les heures travaillées bénévolement pour le développement de la coopérative et les reconnaître dans le calcul des ristournes. Il faut cependant tenir un registre des heures travaillées et être clair sur ce qui est reconnu comme contribution. 

La loi permet également d’inscrire aux règlements de régie interne la possibilité de calculer le volume de travail sur les 4 derniers exercices financiers. Il s’agit aussi d’une manière de reconnaître la contribution des fondateur.ice.s.  

Pour explorer ces différentes avenues, vous pouvez communiquer avec l’équipe du Réseau COOP.

 

Le contrat de membre : un outil à ne pas négliger 

Un contrat de membre clair, souple et évolutif permet de : 

  • Définir les attentes réciproques 
  • Clarifier les engagements 
  • Adapter le fonctionnement à l’évolution du projet 

Il ne s’agit pas de rigidifier, mais d’outiller la vie coopérative pour qu’elle soit porteuse sur le long terme. 

 

Miser sur la vie démocratique : le vrai moteur de la coop 

Au-delà des structures, ce qui fait vivre une coop, c’est sa capacité à nourrir une vie démocratique riche. Cela passe par : 

  • La clarté de l’avantage coopératif 
  • Une solidarité active dans les hauts comme les bas 
  • La formation continue à la culture coopérative 

 

En conclusion : cultiver l’équité et la clarté pour grandir ensemble 

Penser le statut de membre, c’est penser à la fois l’équité, la pérennité, et l’identité même de la coopérative. C’est accepter de naviguer entre souplesse et engagement, entre vision à long terme et réalités quotidiennes. 

Rappelons-le : une coopérative de travail n’est pas un carcan, c’est un cadre vivant (un living lab organisationnel), qui évolue avec ses membres. À vous de le façonner, avec lucidité… et imagination.