Entrepreneuriat au féminin #5 : entrevue avec Meilleur Monde

Dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars, nous avons voulu mettre en lumière l’entrepreneuriat au féminin et les coopératives de notre réseau qui sont exclusivement ou très majoritairement dirigées par des femmes.

Sophie Riendeau, co-fondatrice de la coopérative Meilleur Monde, a répondu à nos questions.

 

Réseau COOP : Pouvez-vous présenter votre coop en quelques mots ?

Sophie : Nous sommes une coop de travailleuses et une agence de consultantes, nous œuvrons dans le domaine du design de services. Notre clientèle se retrouve principalement dans le domaine public, et nous intervenons pour concevoir des nouveaux services ou les améliorer : nous travaillons par exemple avec la Ville de Montréal, des bibliothèques, des hôpitaux, des organismes communautaires. Le design de services se situe à un niveau de conception stratégique : la mise en place d’un service va affecter un aménagement, la signalétique, les points de contacts, etc. qui sont dans un espace mais qui font vivre ce service. Le service va donc au-delà de l’espace mais touche plusieurs échelles, comme des objets, des interfaces numériques, des personnes.

Nous sommes trois cofondatrices issues du design industriel et du design de produits. Dans notre parcours, nous nous sommes toutes trois vraiment plus intéressés à la question de l’influence des objets que l’on créé sur les comportements des gens, dans quel contexte ces objets s’inscrivent. On s’est rendues compte que parfois, les enjeux que l’on essayait de solutionner avec des objets… ces objets n’étaient pas la bonne solution. On entrait alors plus dans l’espace du service, et c’est ce qui nous a réunies pour notre projet de coopérative. Nous nous sommes rencontrées par le biais de notre travail comme travailleuses autonomes, nous faisions beaucoup de projets ensemble car cette discipline est peu connue et émergente. Nous avions des affinités et partagions des valeurs communes : nous avons décidé de travailler ensemble sur des projets plus porteurs, en espérant un jour avoir une équipe plus grande, et continuer à avoir des impacts positifs sur la société. Nous avons d’ailleurs intégré une quatrième personne depuis la création de notre coopérative, nous sommes maintenant quatre.

Pourquoi avez-vous choisi le modèle coop ?

J’avais déjà cofondé une coop dans le passé, je connaissais donc le modèle et ses valeurs. J’ai suggéré de faire la Boussole Entrepreneuriale, qui est un super outil pour valider la forme juridique qui convient le mieux à notre projet entrepreneurial. Nous avions toutes les trois un profil coop ! Et nous avions accès à de nombreuses références sur le site de la Boussole, nous avons eu beaucoup de discussions. Créer une coopérative de travail est vite devenu une évidence.

Ce qui nous ralliait, c’était les retombées sociales que l’on crée, au-delà des retombées économiques. On voulait se créer pour nous, et pour les autres travailleur.euse.s qui nous rejoindraient un jour, des conditions de travail auxquelles on aspirait.

Le design de services est aussi une pratique très présente dans le milieu banquier, les assurances, le monde du numérique… mais nous voulions que le design de services puisse aussi s’inscrire dans les services publics, pour avoir un impact positif sur la société. Le modèle coop est donc en phase avec nos valeurs et avec nos projets professionnels.

Nous avons toutes les trois suivi le Parcours COOP pour démarrer Meilleur Monde, nous nous sommes toutes investies de façon égale dans le projet, on s’assure d’être sur la même longueur d’ondes à travers cette formation. Ça a vraiment aidé, par rapport à ma première expérience de coopérative où nous n’avions pas le même niveau d’investissement.

En quoi ce modèle vous correspond en tant que femme entrepreneuse* ?

C’est une bonne question ! Je vais plus parler en mon nom personnel qu’au nom de la coop. Le système économique dans lequel on vit actuellement est assez restreignant pour les femmes, il nous reste un énorme chemin à parcourir. J’ai l’impression que le modèle coop est nécessairement un modèle plus équitable, qui permet de couper ces barrières plus hiérarchiques que l’on voit au jour le jour entre les hommes et les femmes dans des modèles d’entreprises plus classiques ou privées. Si on peut renverser la balance avec des modèles économiques plus alternatifs, cela nous semble la voie à prendre. C’est aussi une façon de prendre ma place comme femme dans la société et d’essayer de casser les freins qu’on a pour grandir.

Si vous avez une expérience passée dans un autre type d’entreprise, ressentez-vous une différence dans les relations de travail ?

Une énorme différence, c’est sûr. Est-ce dû au modèle coop ou parce qu’on est encore une petite équipe? C’est certain que le modèle coop joue, car je suis porteuse de l’entreprise avec les autres membres, et on partage les responsabilités. Mais si je compare avec mon autre expérience de coopérative, la dynamique était complètement différente, car le projet n’était pas porté par l’ensemble de ses membres, alors que c’est fondamental.

Quand j’étais travailleuse autonome, j’étais tout le temps en mode client, tout le temps en train d’intégrer de nouvelles équipes.

Quand je travaillais à New-York, j’étais dans une grande entreprise avec une grosse équipe, j’étais comme un numéro. Je parlais peu à ma superviseure, je sentais beaucoup de paliers à affronter pour changer les choses sans aucune marge de manœuvre.

Je suis tellement épanouie en ce moment. Notre dynamique est partiellement causée par le modèle coop que l’on a choisi, mais aussi parce qu’on a vraiment choisi de cultiver une façon de travailler, qui est dans la transparence, le fait de pendre le temps de se parler. Il y a beaucoup de « care » qui s’est développé, et qui va de pair avec le modèle coop mais aussi au-delà : on s’est enlignées sur ces objectifs-là ensemble – créer un milieu de travail ouvert et acceptant. Bref, je suis très épanouie dans mon travail en ce moment !

Si je prends l’exemple de notre dernier membre qui a intégré l’équipe, on voit aussi la différence dans les relations de travail. Marc-André a commencé avec nous en novembre dernier, il doit faire face à des idées préconçues de relations boss-employé, très dans le respect de l’autorité. Il y a beaucoup de déconstruction à faire ! Nous nous assurons de faire des suivis avec lui à chaque mois, nous prenons le temps de nous asseoir ensemble, de fixer des objectifs d’apprentissage… Pour lui c’est nouveau de voir une entreprise se dédier autant à ses employés, c’est une grande source de motivation, et pour nous, nous voyons vraiment que prendre ce temps-là le fait évoluer sur le fonctionnement du milieu du travail. C’est la première personne que l’on intègre en plus du noyau de départ, donc nous sommes dans une phase d’intégration, comment prendre de plus en plus de responsabilités à l’interne et pas seulement un poste opérationnel, comment progresser dans la coop, quels sont les avantages de devenir membre versus rester travailleur autonome. C’est un beau défi !

Selon vous, est-ce que le modèle coop permet de réduire les inégalités salariales, plafond de verre, etc. dans la carrière d’une femme ?

C’est un énorme levier, c’est sûr. Il y a le cadre légal de la coop dans lequel tu t’inscris. Mais le gros du travail est porté par les membres qui sont les travailleur.euse.s, qui ne veulent pas vivre ces inégalités-là et qui créent leur propres règles, leur propre régie interne.

De notre côté, nous nous sommes créé notre propre échelle salariale par exemple, qui n’a pas tellement rapport avec l’ancienneté.

Les principes d’équité sont à la base même du modèle coop, ils se traduisent au jour le jour.

Est-ce que dans votre coop, le 8 mars c’est tous les jours ? Avez-vous quelques exemples concrets à partager ?

Oui, le 8 mars pour nous c’est tous les jours, c’est sûr !

Pour s’assurer que l’on ne pratique aucune discrimination ou préjudice, le meilleur exemple qui me vient en tête est la gestion des congés maternité. Comme nous sommes trois jeunes femmes ayant parti une coop ensemble, nous nous sommes dit qu’il fallait que l’on se parle, comment est-ce qu’on gère cette situation : nous avons ces conversations-là assez fréquemment et nous restons transparentes. Nous n’allons pas nous juger si l’une de nous prend 6 mois et l’autre 12 mois. Je suis enceinte et je pars en congé maternité au mois de juillet, Claire revient en juin de son congé maternité : toute cette gestion fait partie de notre réalité et peut causer facilement des tensions, alors nous nous assurons de démystifier le tout et de s’en parler plutôt que le balayer sous le tapis.

Si vous aviez un conseil à donner à une femme entrepreneuse qui hésite sur la forme juridique de son entreprise, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais d’arrêter d’avoir peur de partager, de tout contrôler. On y gagne toujours à être plusieurs cerveaux autour de la table.

Avez-vous un modèle de femme entrepreneuse inspirante ?

On manque encore de modèles. Les modèles de femmes qui m’inspirent ne sont pas entrepreneuses, je pense par exemple à Valérie Plante ou Françoise David. On a encore une image de la femme entrepreneuse en blazer qui a réussi à avoir un poste de directrice, qui finalement s’inscrit dans les modèles plus classiques et a réussi à trouver sa place : ça ne m’inspire pas vraiment.

En 1 mot/phrase, être une femme entrepreneuse en coop ?

Le mot qui me vient en tête : liberté. Je me sens libérée de beaucoup de freins que la société peut nous amener.

Propos recueillis le 25 février 2021 par l’équipe du Réseau COOP lors d’un entretien zoom. 

Merci à Sophie d’avoir répondu à nos questions. Pour en savoir plus sur Meilleur Monde.

* Nous avons choisi d’utiliser le terme « entrepreneuse » et non « entrepreneure » après avoir demandé conseil auprès de la coopérative l’Argot, spécialiste en services langagiers et écriture épicène. Le choix de ce terme apporte plus de visibilité à l’entrepreneuriat féminin.