Entrepreneuriat au féminin #2 : entrevue avec Incita

 

Dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars, nous avons voulu mettre en lumière l’entrepreneuriat au féminin et les coopératives de notre réseau qui sont exclusivement ou très majoritairement dirigées par des femmes.

Mélissa de La Fontaine, co-fondatrice de la coopérative conseil zéro déchet Incita, a répondu à nos questions.

 

Réseau COOP : Pouvez-vous présenter votre coop en quelques mots ?

Mélissa : Incita est une coopérative de services-conseils et animation en environnement pour tout ce qui concerne le zéro déchet, la gestion des matières résiduelles, et la réduction à la source.

Nous sommes trois cofondatrices [Mélissa de La Fontaine, Laure Caillot et Amélie Côté], nous avons été officiellement enregistrées comme coopérative le 8 mars 2019, donc on fête notre anniversaire lors de la journée internationale du droit des femmes ! On trouve que c’est une belle coïncidence.

Depuis le mois d’août, une nouvelle membre s’est jointe à notre équipe : Aurore Courtieux-Boinot. Nous avons aussi une membre auxiliaire, Geneviève Albert, et une employée, Kim Jandot ; et nous venons tout juste d’engager une coordonnatrice administrative!

Pourquoi avez-vous choisi le modèle coop ?

Laure vient du domaine des communications et moi du domaine du cinéma, nous ne connaissions pas nécessairement le modèle coop. C’est vraiment Amélie qui nous en a parlé car elle évoluait déjà dans le monde de l’économie sociale et connaissait le modèle. Pour être très franche, j’étais un peu réticente au début mais je me suis rendue compte que je connaissais mal le modèle coop. On s’est renseignées, notamment à travers les outils offerts par le Réseau COOP, et ça a beaucoup résonné avec nous : le côté humain, le fait qu’il n’y ait pas une personne qui prend plus de place qu’une autre, la gestion horizontale, la structure. De jour en jour, j’aime de plus en plus ce modèle pour des raisons qui s’ajoutent. C’est un peu comme le zéro déchet : au départ, j’ai adopté ce mode de vie pour des raisons environnementales mais au fil des années plein d’autres raisons s’accumulent pour aimer ce modèle-là.

Je parle pour moi, mais le côté économique est aussi un facteur important. Le modèle coop permet de fonctionner dans une structure économique avec laquelle je ne suis pas forcément en accord tout en allant à contre-courant. Même si on est à but lucratif, ultimement comme la hiérarchie est aplatie, il ne peut pas y avoir des personnes en haut de l’échelle qui prennent le pouvoir sur des personnes plus bas. Je trouve aussi intéressante notre double responsabilité d’employeur / employée.

Bref, les raisons d’aimer ce modèle et d’en faire la promotion s’accumulent chaque jour !

En quoi ce modèle vous correspond en tant que femme entrepreneuse* ?

Le fait qu’on soit en équipe défait le modèle hiérarchique habituel. Dans le monde de l’entreprise classique, je n’ai pas de statistiques sous la main mais on voit quand même encore une tendance à ce que les hommes prennent le dessus et occupent les postes de gestion, soient à la tête des entreprises.

Dans notre coop, nous sommes juste des femmes et nous sommes toutes égales. On espère recruter un jour un homme aussi, mais notre structure fait que personne ne prendra jamais le dessus sur quelqu’un d’autre. Ce côté égalitaire est vraiment plaisant.

Si vous avez une expérience passée dans un autre type d’entreprise, ressentez-vous une différence dans les relations de travail ?

Mon Dieu !  Je viens d’un des milieux les plus hiérarchiques existants. Le cinéma, c’est une des raisons pour lesquelles je l’ai quitté : à quel point c’est hiérarchique. Si tu es en bas de la hiérarchie, tu es chanceux.se si tu trouves une équipe qui te considère, sinon c’est vraiment difficile.

C’est le jour et la nuit : le fait de prendre des décisions, qu’on soit toutes co-responsables. Je n’aurais jamais démarré une entreprise toute seule, avoir la charge de toute la responsabilité d’une entreprise. Prendre les décisions ensemble, pour moi c’est la bonne réponse.

Selon vous, est-ce que le modèle coop permet de réduire les inégalités salariales, plafond de verre, etc. dans la carrière d’une femme ?

Je pense que le modèle coop n’est pas infaillible. Si une coop a une majorité d’hommes et une minorité de femmes, de par les structures sociales dans lesquelles on a évolué, les femmes vont peut-être moins parler fort. Ce n’est pas juste une question de structure, c’est avant tout une question de culture à laquelle on est habituées et auxquelles on a tendance à répondre.

Dans notre cas, comme nous sommes juste des femmes, nous n’avons pas de plafond de verre.

Pour la question de la rémunération, le modèle coop force une plus grande transparence, en tout cas pour une structure comme la nôtre. Par exemple, nous avons des discussions sur les salaires en ce moment, on décide ensemble comment la rémunération va fonctionner et il y a une grande transparence. On connaît toutes les salaires de tout le monde. Comme on prend les décisions ensemble, on doit aborder ces sujets, il y a des discussions.

Je dirais que le processus est plus long plus fastidieux, mais les bases sont plus solides, justement grâce à cette transparence : on s’assure que tout le monde soit confortable avec les décisions qui sont prises. J’aime mieux prendre le temps et l’énergie qu’il faut pour tout cela, à long terme cela me semble plus pérenne comme décision, cela amène une plus grande ouverture.

Je ne sais pas si cela se passe ainsi dans toutes les coops, mais je me sens choyée car je travaille avec des personnes tellement ouvertes et bienveillantes.

Le fait qu’on soit comme ça a certainement fait qu’on est allées vers le modèle coop, car on prend les décisions ensemble et on permet cet espace de bienveillance et de discussion.

Est-ce que dans votre coop, le 8 mars c’est tous les jours ? Avez-vous quelques exemples concrets à partager ?

Oui ! C’est tous les jours !

Comme l’environnement, ces journées c’est tous les jours tout le temps. Le meilleur exemple que je donnerais, c’est quand il y a un an, on a décidé d’adopter une écriture épicène. Aurore devait nous donner une formation, et puis avec le covid et nos projets qui ont explosé, nous n’avons jamais pris le temps de la faire, donc on faisait comme on pouvait. On a finalement réussi à la faire début janvier. Ce que j’ai vraiment apprécié, c’est que non seulement elle nous a expliqué comment écrire de façon plus épicène, mais elle nous a aussi présenté un historique du pourquoi on est rendues là : avant le masculin ne l’emportait pas sur le féminin, on a pris pour acquis que cela a toujours été le cas mais non ! En ramenant l’historique de notre écriture, on a mieux compris pourquoi c’est important de mettre en place l’écriture épicène. On y croyait toutes mais ça a renforcé notre volonté. On est vraiment devenues meilleures, tous nos documents ont été adaptés. Et comme on est juste des femmes, nous avons tous mis nos documents internes au féminin.  Si on recrute un homme, on verra comment on adapte le tout mais c’est certain qu’il y aura une discussion et qu’on ne remettra pas tout au masculin !

Si vous aviez un conseil à donner à une femme entrepreneuse qui hésite sur la forme juridique de son entreprise, que lui diriez-vous ?

Je ne pourrai pas dire à tout le monde que la coop est le modèle qui leur convient, par exemple quelqu’un qui veut travailler seul n’est pas fait pour le modèle coop. Je parlerais du modèle à quelqu’un qui veut travailler en équipe; ce qui est mon cas – je ne retournerais jamais travailleuse autonome, je suis tellement bien avec les personnes avec qui je travaille. Et puis il faut être au moins trois pour créer une coop.

J’en parlerais aussi à quelqu’un qui a un désir de changer la structure habituelle économique : on est habitué.e.s à des structures entrepreneuriales très figées, mais si la personne n’est pas à l’aise avec ce type de structure, la coop est vraiment une alternative.

La coopérative de travail est vraiment le bon format pour quelqu’un qui veut s’impliquer dans la société, faire changer les choses, et qui a un désir d’équité entre les membres.

Enfin, je dirais qu’il faut s’informer comme il faut sur les coops. C’est l’erreur que j’ai faite : j’ai pris pour acquis que je connaissais le modèle, et qu’il n’était pas fait pour moi. En m’informant mieux, j’ai pris conscience que c’était exactement le modèle que je voulais. La plupart des gens ont des biais, peu de gens comprennent réellement le modèle coop. De mon côté, j’ai contacté le Réseau COOP pour me renseigner, j’ai écouté toutes vos vidéos sur votre site web, puis on en a parlé en équipe.

Avez-vous un modèle de femme entrepreneuse inspirante ?

Laure et moi nous sommes rencontrées par le zéro déchet. On a repéré Amélie et nous avions envie de travailler avec elle mais elle nous paraissait inaccessible. Finalement, Laure est allée brunché avec elle, cela s’est super bien passé et a marqué le début de notre collaboration à trois. On a travaillé ensemble pendant deux ans comme travailleuses autonomes sur des mandats, avant de démarrer notre coopérative.

En 1 mot/phrase, être une femme entrepreneure en coop ?

Le modèle COOP, c’est le parfait tremplin pour se lancer en affaires en équipe !

Il y a quelque chose sur le fait d’être des femmes en coop que je trouve vraiment intéressant, même si bien sûr cela dépend du caractère de chacune. C’est un modèle qui nous permet d’évoluer en équipe, de nous émanciper, de prendre confiance, dans un lieu sécuritaire. C’est très puissant.

Propos recueillis le 25 février 2021 par l’équipe du Réseau COOP lors d’un entretien zoom. 

Merci à Mélissa d’avoir répondu à nos questions. Pour en savoir plus sur Incita.

* Nous avons choisi d’utiliser le terme « entrepreneuse » et non « entrepreneure » après avoir demandé conseil auprès de la coopérative l’Argot, spécialiste en services langagiers et écriture épicène. Le choix de ce terme apporte plus de visibilité à l’entrepreneuriat féminin.