Renouveau, 1970 - 1995 Article 2/4

Dans cette série de quatre articles, nous revenons sur l’histoire de la coopérative de travail. Dans le premier article,  nous nous attardions sur les racines de la coopérative de travail ainsi que son émergence au Québec. Dans ce deuxième, nous aborderons la période de renouveau des coopératives de 1970 à 1995. Dans le suivant, nous expliquerons l’évolution des coopératives de travail de 1995 à 2007 et dans le dernier nous définirons les phases d’évolution du Réseau Coop depuis sa création.

Les années 70

À partir des années 1970 émergent des expérimentations plus nombreuses de coopératives de travail, on peut alors parler du renouveau de la coopération du travail. Le Café Campus, autogéré depuis 1967, constitué en OBNL en 1981 puis en Coopérative de travail en 1992, le Théâtre Parminou (1973) et Tricofil (1974) sont d’ailleurs très représentatifs de ce renouveau. Tandis qu’une nouvelle génération s’approprie une ancienne formule, Tricofil marque le
début de la désindustrialisation et de l’alternative coop pour sauver des emplois.

Tricofil, l’histoire d’une reprise d’entreprise par les travailleurs, mais également d’un pan de l’histoire du Québec …

Ville de Saint-Jérôme, 1972. Les travailleurs de l’usine La Regent Knitting en ont assez des conditions déplorables. Ils se mobilisent et décident d’occuper l’usine qui fonctionnera alors uniquement par l’action des travailleurs ; exit le grand boss et les contremaîtres. Cette occupation qui dura 3 semaines mena à des négociations visant une cogestion avec  les patrons, cogestion qui ne vit jamais le jour. Juin 1974, les propriétaires décident de fermer l’usine sans préavis. Les employés négocient alors de terminer la production des contrats en cours, sans patron ni contremaître en faisant des
corvées. Afin de rester mobilisés, les travailleurs décident alors de se réunir cinq heures par semaine jusqu’en février 1975 où le groupe devient locataire de l’usine et crée Tricofil dont la vision de “construire une société plus humaine par en bas” s’incarne dans le principe qu’une action égale à un vote. La législation de l’époque ne reconnaissant pas la coopérative de travail, Tricofil fut créé sous la forme de la société populaire. Sous les conseils de Monsieur Jacques Parizeau, un plan d’affaires est créé. L’action syndicale permet la formation des travailleurs, ce qui prépare la relève et permet de passer de l’occupation de l’usine à l’autogestion.

 

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Légende: Archives de Tricofil 

Ayant des besoins d’approvisionnement, mais manquant de liquidités, les travailleurs ne réussissent pas à obtenir une marge de crédits. Une communauté religieuse croyant en l’organisation a alors offert 50 000 $, la première campagne de ce que nous appelons aujourd’hui “sociofinancement” est lancée et des fonds publics sont dégagés à la suite de diverses négociations. Malheureusement, ce soutien arrive trop tard alors que Tricofil vient de perdre son principal représentant commercial et l’important réseau de distribution de celui-ci.

Ayant atteint la rentabilité et ce, malgré la baisse Nord-Américaine du marché du textile à l’époque, une suite d’actions eue raison de la fermeture de l’usine en 1982. Parmi diverses raisons évoquées, on fait état du retrait de la Société d’investissement de Desjardins qui a associé à tors le remplacement d’une machine défectueuse à une vente d’actifs, une mauvaise couverture par les médias et un projet de développement d’Hydro Québec prévu sur l’emplacement de l’usine. Soutenu par le chanoine Jacques Grand’Maison, Lise Payette, le syndicat FTQ et de multiples québécois, Tricofil a été le lieu de la plus grande expérience d’autogestion au Québec, l’usine ayant fonctionné sous ce modèle de 1974 à 1982.

tricofil

Légende: Archives de Tricofil 

Le mouvement de la coopération du travail doit à Tricofil l’innovation en tout, qu’il s’agisse de la création du modèle de la coop de travail, de l’organisation démocratique, de la formation des employés à la gestion d’une usine ou de la recherche de financement.

Les travailleurs les plus exploités nous ont fait la leçon en nous démontrant que même peu scolarisés, les travailleurs peuvent prendre leur devenir en main et gérer collectivement une entreprise d’envergure avec plusieurs centaines d’emplois.

Théâtre Parminou

Le Parminou est une coopérative de théâtre de création et de tournée socialement engagée qui souhaite sensibiliser toute la population sur les grands enjeux sociaux contemporains qui les concernent. Dès sa fondation en 1973 par des finissants du Conservatoire d’art dramatique de Québec, l’engagement social s’est imposé pour ces jeunes comédiens qui comptaient mettre leur talent au service des grands débats de société. La théâtrographie du Théâtre Parminou témoigne de ce choix par la convergence des thématiques de ses productions avec les nombreuses luttes qui ont façonné le Québec. Cet engagement s’est aussi manifesté par la volonté de créer un théâtre de proximité qui investit les espaces publics, qui s’invite dans la vraie vie. Sa grande préoccupation d’accessibilité a fortement influencé sa théâtralité tout au long de son parcours. Coopérative autogérée à fins sociales, le Théâtre Parminou s’est développé en cohérence avec ses valeurs progressistes et en concordance avec les mouvements marquants de notre société. Son déménagement en 1976, de Québec à Victoriaville, était motivé par sa volonté de démocratiser la culture en implantant hors des grands centres un organisme culturel professionnel.

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Légende: Archives du Théâtre Parminou 

L’histoire du Parminou est atypique dans le paysage théâtral québécois. Son organisation, sa dramaturgie, son public, ses démarches de création, ses réseaux, ses liens avec les communautés, tout converge vers un seul but, mettre l’art au service du bien commun. Son excellence a fait l’objet d’une reconnaissance exceptionnelle en 2013 lorsque le gouvernement du Québec remettait à la directrice artistique, Hélène Desperrier, le titre de Chevalière.

Café Campus

Né d’un mouvement de boycottage des services de cafétéria du campus de l’Université de Montréal déclenché en 1966, le Café Campus a été fondé en 1967 sous l’égide de l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal (AGEUM). Le Café Campus est rapidement devenu une institution incontournable pour la population étudiante qui y trouvait non seulement à manger… et à boire, mais également un lieu de rassemblement politique et culturel incontournable. Dans la foulée de la dissolution de l’AGEUM en 1969, le Café Campus a changé de mains deux fois,
d’abord sous l’égide d’une structure temporaire avant de passer aux mains de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAECUM), fondée en 1976. Après plusieurs années d’âpres négociations, l’Association des travailleuses et travailleurs du Café Campus (ATTCC) a réussi à bloquer le projet de la FAECUM, qui souhaitait vendre l’établissement à un promoteur privé exigeant la dissolution du syndicat formé en 1974.

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Légende: Archives de Café Campus 

Tous les membres du personnel du Café Campus ont donc fini par devenir collectivement propriétaires de l’entreprise, en mars 1981. Une décennie s’écoule avant que le Café Campus ne soit menacé de fermeture, en raison de plaintes de bruit. La crise fait la manchette. La Ville de Montréal trouve un emplacement dans un ancien poste d’Hydro-Québec, chemin de la Côte-des-Neiges, mais l’opération avorte. En 1993, l’organisation s’est constituée en coopérative de travail et a déménagé rue Prince-Arthur ou elle est toujours aujourd’hui.

Les années 80

Différents éléments expliquent le virage pris depuis le milieu des années 70. À la faveur d’échanges et de colloques, les expériences étrangères sont davantage connues : bien sûr, l’expérience des SCOP françaises, mais aussi les cas italiens et surtout espagnols (Mondragon). La crise économique des années 1970 -1980 qui s’est accompagnée d’une forte poussée inflationniste a incité le gouvernement à explorer des voies novatrices pour créer de l’emploi, dont celle de l’entrepreneuriat collectif. Ainsi, on note sur quelques années, la mise en place de mesures facilitantes pour le développement de ces entreprises en termes de financement (Société de développement coopératif), d’accompagnement (déploiement des CDR sur l’ensemble du Québec dans les années 80), de reconnaissance légale et de promotion. Les coopératives de travailleurs suscitent à cette époque un engouement sans précédent. Pour
favoriser cet élan, l’Assemblée nationale du Québec modifie, en 1982, la Loi des coopératives afin
d’y inclure la notion de « coopérative de travailleurs ».

Construction ensemble

La Coopérative est née en 1986 de la volonté d’un groupe de ressources techniques en habitation de mettre sur pied sa propre entreprise de construction pour réaliser les chantiers de construction ou de rénovation pour les projets de coopératives d’habitation qu’il créait. La Coopérative réalise aujourd’hui principalement des chantiers de rénovation résidentielle et commerciale dans la grande région de Québec.

Coops de paramédics

La fin des années 80 (1988) voit arriver l’émergence d’un secteur, celui des coopératives de paramédics. Au Québec, le titre d’emploi technicien ambulancier a été modifié pour celui de technicien ambulancier/ paramédic en mars 2008. Ce terme réfère à une fonction de soins, et certains actes médicaux lui sont autorisés. En 2005, les coopératives de paramédics se sont regroupées au sein d’une fédération qui est toujours active aujourd’hui et représente 1 576 paramédics membres travailleurs et membres travailleurs actionnaires qui dispensent 30 % de l’ensemble des transports préhospitaliers au Québec.

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Légende: Fédération des Coopératives Paramédics du Québec

Le réseau des coopératives de paramédics est un exemple fort de reprise d’entreprises par les travailleurs.

Vous voulez en connaître plus? Rendez-vous au prochain article L’évolution des coopératives de travail de 1995 à aujourd’hui. 

Vous voulez en savoir plus sur les coopératives de travail? Ne manquez pas notre formation « C’est quoi une coop? »